
En effet, lorsque quelque chose de grave ou de terrible nous arrive, nous avons tous tendance à avoir des pensées du style : "Mais qu'ai-je donc fait pour mériter ça?"; "J'ai dû mal me comporter pour que ceci m'arrive"; "Pourquoi moi? pourquoi maintenant?"; "J'ai dû être quelqu'un de terrible dans une vie antérieure"; "J'expie un mauvais karma"...
C'est la nature même de notre pensée que de chercher à trouver une explication plus ou moins convaincante à tout ce mal qui arrive. Notre cerveau fait son travail et veut absolument comprendre. Il cherche à retrouver un certain pouvoir face au malheur subi. Il aimerait pouvoir tirer une leçon et dire "j'ai compris, j'en tire les leçons et cela ne se reproduira plus". Il nous pousse alors à nous centrer sur nous-mêmes et à viser l'amélioration permanente de nos comportements. Comme s'il était toujours à l'affût, cherchant l'erreur qui pourrait éventuellement avoir des conséquences graves. Il cherche à tout prévoir, à tout contrôler et espère ainsi éviter le pire.
Philippe Vuille, sur le site de l'ACBS parle de notre intelligence comme "d'une formidable machine à pourrir l'ici et maintenant". Il écrit "Si heureux mon présent soit-il, mon intelligence va me dresser la liste des pertes auxquelles je peux m'attendre et des catastrophes que je puis encourir".
Notre cerveau semble toujours en alerte, en observateur de nous-mêmes et vise donc constamment une perfection censée nous protéger du sentiment de culpabilité. Comme si une petite voix à l'intérieur de nous-mêmes disait : "Es-tu certain d'avoir bien fait? N'as-tu commis aucune erreur? T'es-tu bien comporté? Aurais-tu pu éviter certains problèmes? Tu dois faire mieux, ce n'est pas suffisant"
Or plus notre pensée s'accroche à ce qui est douloureux, plus elle maintient l'émotion pénible présente et actuelle et moins notre réflexion fonctionne. Ruminer notre malheur l'entretient et nous prive de la réflexion qui nous aiderait à trouver, parfois, des solutions. Christophe André écrit dans Les états d'âme : "ruminer , ce n'est pas réfléchir..."
De cette manière on peut voir le perfectionnisme comme une tentative désespérée de lutte contre le sentiment de culpabilité. "Si je fais tout parfaitement, je ne me sentirais plus coupable de rien, je ne douterai plus de ma valeur". Perfectionnisme et culpabilité peuvent être ainsi comprises comme les deux faces d'une même médaille. D'un côté l'auto-accusation sans fin (culpabilité) et de l'autre l'autosuffisance stérile (perfectionnisme).
Or l'erreur n'est-elle pas, avant tout et par essence même, humaine?!
Serait-ce une forme de sagesse que d'accepter de se tromper? Accepter de ne pas tout maîtriser, tout comprendre, tout contrôler? Accepter d'être... humain et donc imparfait, en devenir, incomplet? Accepter de quitter cette position de toute-puissance mortifère qu'est le perfectionnisme/culpabilité? Accepter pour autrui comme pour soi d'adopter une position d'ouverture bienveillante, douce et sans jugement?
Beaucoup d'entre nous adoptent assez facilement cette position d'ouverture bienveillante compassionnelle vis-à-vis d'autrui. Or, il s'agit d'avoir également cette attitude envers soi! Christophe André écrit, toujours dans Les états d'âme : "il est normal de prendre soin de soi ; d'avoir le sentiment que ce qui nous arrive et ce que nous ressentons est une expérience humaine universelle (inutile de se blâmer, inutile de se punir) ; de se montrer capable d'acceptation envers nos échecs ou difficultés (ne pas se juger trop vite, ne pas se sur identifier à ses problèmes ou ses oscillations d'états d'âme)....l'auto-compassion entraîne en général un plus grand sentiment de responsabilité personnelle mais sans pour autant faire sombrer dans la culpabilité."
Personnellement, je vois dans la compassion et l'auto-compassion une solution extrêmement efficace pour sortir du piège du perfectionnisme/culpabilité.
Frédérique Giacomoni (image Rémi Schoendorff)