mercredi 4 août 2010

Le pouvoir de se découvrir utile

Sur sa page Facebook, Kelly Wilson, un des initiateurs de la Thérapie d’Acceptation et d’Engagement, publie régulièrement des textes formant partie de son ‘projet d’appréciation’. J’ai déjà traduit certains de ces textes pour ce blog et je voudrais aujourd’hui partager ce texte que Kelly, qui est venu animer un atelier de formation à la Thérapie d’Acceptation et d’Engagement à Lyon en juillet dernier vient de publier.

Je porte en moi une tendresse particulière pour les personnes souffrant de difficultés développementales. Voici l’histoire derrière cette tendresse.
C’était l’hiver 1985 et je faisais lentement route pour revenir au centre de la vie. Avant cela j’avais passé des années à vivre à la frontière entre vivre et mourir. Connaissez-vous cet endroit ? J’attendais juste de pouvoir mobiliser suffisamment de courage ou d’apathie pour mourir de ma propre main (mais sans jamais les trouver). Ou, ma stratégie la plus active, en espérant secrètement que je mourrais du fait d’un malheureux concours de circonstances — un passage à tabac, une balle, un accident de la circulation — et en vivant d’une manière qui rendait cela très probable.
Le premier job que j’ai eu fut de travailler dans un foyer pour personnes souffrant de handicap développementaux pour $4 de l’heure. Les personnes qui vivaient là devaient souffrir de profond handicap et la plupart avaient d’autres difficultés qui faisaient qu’il était difficile de les caser. Beaucoup d’entre eux avaient survécu à de nombreuses années dans les énormes entrepôts humains que notre société construit pour loger (ou peut-être juste entreposer) les personnes ayant ces problèmes.
Si jamais cela commence à sembler noble de ma part, vous devriez savoir que si quelqu’un m’avait offert un emploi plus prestigieux ou plus rémunérateur, je l’aurais accepté sans hésitation. Je n’ai pas renoncé à la richesse ou à la renommée pour prendre cet emploi. Personne ne m’offrait un meilleur job. Personne. J’avais 30 ans et je n’avais jamais eu d’emploi stable de toute ma vie. J’ai pris le job à 4 $ de l’heure parce que c’était tout ce que j’étais qualifié à faire.
Je travaillais les matins – tôt. J’arrivais et je réveillais les gars et les préparaient à se rendre à leurs ateliers protégés. À cause de leur niveau de handicap, il arrivait occasionnellement que les gars se salissent pendant la nuit. C’était alors mon job de les aider à se nettoyer.
Je me souviens avec une grande clarté, tôt un matin, en cette obscurité d’avant l’aube de l’hiver 1985, être à genoux dans cette salle de bains. Un carrelage bleu montait aux murs, l’eau chaude tombait en pluie, et je me souviens du contact et de l’odeur de cet air savonneux et fumant, et je suis à genoux à nettoyer les souillures des jambes de l’un de ces gars. Et là en bas, à genoux, il m’est apparu, que si vous ne pouviez pas laver vos selles de vos propres jambes, et que quelqu’un pouvait le faire pour vous, ce serait une bonne chose.
J’ai vécu tellement d’années totalement certain que j’étais un poids pour l’univers. Vous approcher de moi vous épuiserait et vous causerait des dégâts. Plus vous vous approcheriez, plus de dégâts vous subiriez. La plupart du temps les gens ne s’en rendaient pas compte avant qu’il ne soit trop tard, mais ils finissaient toujours par s’en rendre compte. Voilà l’histoire à l’intérieur de laquelle je vivais. J’avais des preuves — un sillage de relations brisées et d’échecs personnels s’étendait derrière moi aussi loin que l’œil portait.
Mais là, à genoux, dans cette salles de bains embuée, je me suis trouvé utile. Je ne savais pas que je pouvais être utile. Et je ne peux exprimer ce que cela voulut dire pour moi ce jour là, dans cette salle de bains, à genoux, de me découvrir utile. Et, aujourd’hui, me remémorant tout cela, mes yeux se remplissent de larmes de gratitude. J’ai une dette spéciale envers les personnes vivant avec des handicaps développementaux. Ça n’est pas une dette malvenue, mais une que je porte avec joie. Ces gens avec des handicaps si profonds m’ont fait savoir que je pouvais être utile. Ce fut un présent d’une importance incommensurable offert dans le dernier endroit où je me serais attendu le trouver.
Et aujourd’hui, plus de 25 ans plus tard, j’ai reçu ce présent un millier de fois, tout autour du monde. Ça a vraiment été merveilleux. Ça n’a pas été indolore, mais merveilleux et inattendu. Je ne peux croire que je suis presque parti avant que cela n’arrive. Je suis vraiment content d’être resté. Vraiment content et reconnaissant.
Voici les choses qui me viennent, à la réflexion :
Juste là où vous êtes est un excellent point de départ.
Laissez le monde vous surprendre.
Demandez-vous quels présents pourraient apparaître dans les actions les plus simples et les endroits les plus humbles.
Ne sous-estimez jamais le pouvoir de petites actions de gentillesse — offertes ou reçues.
Prenez le temps d’apprécier la richesse de votre propre vie, même (et peut-être surtout) dans ses plus petits aspects.
Namaste à vous tous,
Kelly

Kelly G Wilson PhD est professeur de Psychologie à l'Université du Mississippi à Oxford où il a reçu le prix du professeur extraordinaire de l'année 2010
Kelly G Wilson PhD, (traduction Benjamin Schoendorff) (image Rémi Schoendorff)

mercredi 24 mars 2010

La culpabilité ou compassion?

Lytta Basset écrit dans Culpabilité, paralysie du cœur que "nous lisons souvent les évènements comme autant de preuves de notre nullité, indignité, culpabilité."
En effet, lorsque quelque chose de grave ou de terrible nous arrive, nous avons tous tendance à avoir des pensées du style : "Mais qu'ai-je donc fait pour mériter ça?"; "J'ai dû mal me comporter pour que ceci m'arrive"; "Pourquoi moi? pourquoi maintenant?"; "J'ai dû être quelqu'un de terrible dans une vie antérieure"; "J'expie un mauvais karma"...
C'est la nature même de notre pensée que de chercher à trouver une explication plus ou moins convaincante à tout ce mal qui arrive. Notre cerveau fait son travail et veut absolument comprendre. Il cherche à retrouver un certain pouvoir face au malheur subi. Il aimerait pouvoir tirer une leçon et dire "j'ai compris, j'en tire les leçons et cela ne se reproduira plus". Il nous pousse alors à nous centrer sur nous-mêmes et à viser l'amélioration permanente de nos comportements. Comme s'il était toujours à l'affût, cherchant l'erreur qui pourrait éventuellement avoir des conséquences graves. Il cherche à tout prévoir, à tout contrôler et espère ainsi éviter le pire.
Philippe Vuille, sur le site de l'ACBS parle de notre intelligence comme "d'une formidable machine à pourrir l'ici et maintenant". Il écrit "Si heureux mon présent soit-il, mon intelligence va me dresser la liste des pertes auxquelles je peux m'attendre et des catastrophes que je puis encourir".
Notre cerveau semble toujours en alerte, en observateur de nous-mêmes et vise donc constamment une perfection censée nous protéger du sentiment de culpabilité. Comme si une petite voix à l'intérieur de nous-mêmes disait : "Es-tu certain d'avoir bien fait? N'as-tu commis aucune erreur? T'es-tu bien comporté? Aurais-tu pu éviter certains problèmes? Tu dois faire mieux, ce n'est pas suffisant"
Or plus notre pensée s'accroche à ce qui est douloureux, plus elle maintient l'émotion pénible présente et actuelle et moins notre réflexion fonctionne. Ruminer notre malheur l'entretient et nous prive de la réflexion qui nous aiderait à trouver, parfois, des solutions. Christophe André écrit dans Les états d'âme : "ruminer , ce n'est pas réfléchir..."
De cette manière on peut voir le perfectionnisme comme une tentative désespérée de lutte contre le sentiment de culpabilité. "Si je fais tout parfaitement, je ne me sentirais plus coupable de rien, je ne douterai plus de ma valeur". Perfectionnisme et culpabilité peuvent être ainsi comprises comme les deux faces d'une même médaille. D'un côté l'auto-accusation sans fin (culpabilité) et de l'autre l'autosuffisance stérile (perfectionnisme).
Or l'erreur n'est-elle pas, avant tout et par essence même, humaine?!
Serait-ce une forme de sagesse que d'accepter de se tromper? Accepter de ne pas tout maîtriser, tout comprendre, tout contrôler? Accepter d'être... humain et donc imparfait, en devenir, incomplet? Accepter de quitter cette position de toute-puissance mortifère qu'est le perfectionnisme/culpabilité? Accepter pour autrui comme pour soi d'adopter une position d'ouverture bienveillante, douce et sans jugement?
Beaucoup d'entre nous adoptent assez facilement cette position d'ouverture bienveillante compassionnelle vis-à-vis d'autrui. Or, il s'agit d'avoir également cette attitude envers soi! Christophe André écrit, toujours dans Les états d'âme : "il est normal de prendre soin de soi ; d'avoir le sentiment que ce qui nous arrive et ce que nous ressentons est une expérience humaine universelle (inutile de se blâmer, inutile de se punir) ; de se montrer capable d'acceptation envers nos échecs ou difficultés (ne pas se juger trop vite, ne pas se sur identifier à ses problèmes ou ses oscillations d'états d'âme)....l'auto-compassion entraîne en général un plus grand sentiment de responsabilité personnelle mais sans pour autant faire sombrer dans la culpabilité."
Personnellement, je vois dans la compassion et l'auto-compassion une solution extrêmement efficace pour sortir du piège du perfectionnisme/culpabilité.

Frédérique Giacomoni (image Rémi Schoendorff)

lundi 15 mars 2010

Vers une prière de la sérénité plus sereine?

Mon ami Hank Robb, thérapeute en Thérapie d'Acceptation et d'Engagement américain a récemment partagé ces réflexions intéressantes sur la liste de discussion anglophone de l'ACT.

La prière de la sérénité dit :

Mon Dieu
Donnez-moi la sérénité
D’accepter
Les choses que je ne puis changer
Le courage
De changer les choses que je peux,
Et la sagesse
D’en connaître la différence.

Le ‘problème’, tel que je le vois, est que la Prière de la sérénité semble suggérer qu’il n’est bon d’accepter que ce que l’on ne peut pas changer.
Pourtant, même ce que l'on peut changer, il est souvent plus fonctionnel de l’accepter.
Le processus de changement deviendra beaucoup plus efficace si l’on donne d’abord permission à ce ‘qui est, était ou pourrait être’ d’être, d’avoir été ou de pouvoir être - plutôt que de l’aborder en disant : Et que fais-tu ici ? Je ne vois pas pourquoi je devrais même passer ne serait-ce qu’un seul instant en ta compagnie. Sors d’ici !
Voici pourquoi, plutôt que la Prière de la sérénité, je propose à mes clients la Formule de la sérénité en action :

Laissez-moi
Accepter (consentir à)
La vie telle que je la trouve (telle qu'elle est, était ou pourrait devenir) même si je peux ne pas être d’accord avec ce que je trouve

Avoir la sagesse
De voir ce qu’il serait bon de changer,

Le courage
D’agir sur la durée pour ce changement,

Et la gratitude
D’avoir une chance de vivre ma vie du mieux que je le peux.


Hank Robb
(traduction et adaptation Benjamin Schoendorff, image Rémi Schoendorff)

dimanche 17 janvier 2010

Eloge de la félure

J’adore cette phrase de Michel Audiard : « Bienheureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière » !
Je trouve que tout y est. Au premier degré, c’est une évidence que ce qui est fêlé laisse passer un peu de lumière.
Avec une analyse plus psychologique, cela permet d’accepter plus facilement ses propres fêlures puisqu’elles nous annoncent la lumière ! De quelle lumière parle-t-on ? Je pense qu’il s’agit là de comprendre que la lumière est ce qui nous libère. C’est probablement ce que l’on ressent lorsqu’on est en paix à l’intérieur de soi. Une sorte de sentiment de dilation intérieure, de plénitude, de bien-être que l’on peut ressentir par exemple dans la pratique de la méditation ou de la prière, pour ceux d’entre nous que cette pratique touche.
Personnellement c’est lorsque je ressens cette paix que je ressens également le plus d’amour pour tous les êtres humains que je croise. A ce moment là, je ressens aussi les liens invisibles qui me rendent tous ces Autres humains si proches de moi. C’est ce que j’appelle la lumière : ce qui nous relie les uns aux autres, dans toute notre humanité.
Dans ce sens, je vois les fêlures, les failles, les fragilités de chaque être humain, comme une force qui nous relie les uns aux autres ! C’est une chance que d’accepter et de pouvoir dessiner le contour de ses propres fêlures car elles permettent d’accéder au monde des relations ! C’est en ce sens que je pense que chaque thérapeute devrait travailler sur ses propres fragilités.
Marie Balmary le souligne dans La fragilité : faiblesse ou richesse ? publié chez Albin Michel, la fragilité est une présence sans menace pour l’autre, elle permet d’être avec l’autre.
Enfin , merci Michel Audiard car l’humour est sans doute la plus courte et la meilleure distance entre deux êtres !
Frédérique Giacomoni

Sur le même thème et pour les anglophones parmi vous: la très belle chanson de Leonard Cohen Anthem qui contient ces paroles:
There is a crack in everything, that's how the light gets in
(Il y a une fêlure dans toute chose, c'est comme ça que la lumière pénètre).

Benjamin Schoendorff
(image Rémi Schoendorff)

mardi 12 janvier 2010

Du personnel à l'universel

Pour nous les thérapeutes, il est encore de bon ton de nous camoufler derrière nos diplômes, notre expertise, notre savoir et notre rôle.
Cela est souvent plus confortable, et notre tête nous souffle que toute autre attitude serait inacceptable et sans doute dangereuse pour nos clients (que du coup nous préférons appeler patients dans l'illusion qu'ils viennent nous voir avec des choses en trop ou en moins que nous allons devoir leur enlever ou leur rajouter).
La Thérapie basée sur l'Analyse Fonctionnelle (Functional Analytic Therapy - FAP) de Bob Kohlenberg et Mavis Tsai part de la constatation que pour une espèce sociale comme la notre, la grande majorité de la souffrance mentale se traduit, se nourrit et bien souvent nait, de difficultés relationnelles.
Dans cette approche-soeur de la Thérapie d'Acceptation et d'Engagement (ACT) basée à la fois sur l'analyse du comportement et les théories de l'attachement (et qui peut donc se comprendre comme une intégration du comportementalisme et de la psychodynamique), le travail de thérapie devient l'entrainement d'un comportement relationnel plus fonctionnel. Pour une espèce sociale, cela veut dire l'entrainement du comportement de connexion aux autres.
Or, ce qui nous connecte aux autres ça n'est pas prétendre que nous contrôlons tout, que nous sommes parmi les passagers qui ont eu la chance d'être invité à monter à bord du bus des gens qui vont bien et n'ont aucune difficulté, ni même que nous avons été un jour des bozos mais qu'aujourd'hui, après des années d'efforts, avons enfin rejoint le bus des 'beautiful people'.
Nous connecter implique faire de l'espace pour révéler nos vulnérabilités.
Créer des relations intimes implique prendre le risque de révéler des choses pour la révélation desquelles nous avons été puni dans le passé - et le faire dans un espace où nous ne serons pas cette fois punis, mais accueillis.
En faire la démonstration publique nous expose à être en partie condamnés et rejetés (en comportementalisme on dit puni), et en partie soutenus (en comportementalisme on dit renforcé). Quand on est plus renforcé que puni, on continue, sinon on change son comportement jusqu'à ce que l'on soit plus renforcé que puni.
Les problèmes arrivent quand ce qui nous renforce c'est l'arrêt d'une punition (en comportementalisme on dit renforcement négatif). Par exemple je pourrais arrêter d'être sincère et ouvert afin de ne plus m'exposer au ridicule ou au jugement de certains. Nul doute que cela marcherait pour me protéger de certaines blessures. Mais cela m'empêcherait également de connaitre la joie profonde et importante que j'éprouve à me connecter authentiquement avec de nombreuses personnes.
C'est là que le travail des valeurs de l'ACT vient nous aider. En m'alignant avec mes valeurs, en agissant pour incarner les qualités qui me sont importantes, je suis renforcé dans le fait même de faire l'action, et plus seulement dans le résultat de cette action. Donc que les autres reconnaissent que j'ai vraiment le cœur ouvert ou non, je suis renforcé du simple fait que j'agis en harmonie avec ce que je vois dans mon cœur.
J'écris sur moi pour trois raisons: respecter la vulnérabilité de mes clients en n'étalant pas en public les combats privés de leur cœur; parler de ce dont j'ai une expérience directe plutôt que de mon interprétation de l'expérience des autres et enfin parce que, comme l'écrit Carl Rogers : 'Il me faut maintenant citer une de mes découvertes les plus enrichissantes; enrichissante, parce que, grâce à elle, je me sens plus proche d'autrui. Cela pourrait s'exprimer comme suit : ce qui est le plus personnel est ausi ce qu'il y a de plus général'. (Le développement de la personne, Interéditions 2005, p.22)
Benjamin Schoendorff (image Rémi Schoendorff)

lundi 11 janvier 2010

Les bozos dans le bus

Mon amie Sonja Batten PhD, extraordinaire formatrice, a pour habitude de commencer ses ateliers de formation à la Thérapie d'Acceptation et d'Engagement (ACT) en lisant ce texte d'Elizabeth Lesser.
Le célèbre clown américain, Wavy Gravy dit que nous sommes tous des Bozos dans le bus. Sa phrase est une excellente introduction à notre atelier. Parce qu'au fond nous croyons tous que nous sommes des bozos dans le bus, contrairement à l’image que nous nous donnons tant de mal à défendre chaque jour.
Nous sommes tous des êtres régulièrement sujets à l’erreur, nés dépourvu du manuel d’instruction pour affronter un monde complexe. Aucun d’entre nous n’est un modèle de comportement. Nous avons tous trahi et été trahis, nous avons tous agi de manière égoïste, comme des personnes sur qui on ne peut pas compter, des êtres léthargiques, radins, et chacun d’entre nous a pu se réveiller au milieu de la nuit et se faire du souci pour toutes sortes de choses – l’argent, les enfants, le terrorisme, les rides, la calvitie.
En d’autres termes, nous sommes tous des bozos dans le bus.

A mon avis, cela devrait être célébré. Si nous sommes tous des bozos, alors, bon Dieu! nous pouvons nous libérer du poids de prétendre et être, simplement, des bozos.
Nous pouvons alors faire face aux problèmes qui confrontent les organismes de type bozo sans nos résistances et gênes habituelles. C’est d’autant plus efficace de travailler sur nos imperfections le cœur léger et ouvert au pardon.
Imaginez combien il serait libérateur de considérer la condition humaine de manière plus compassionnelle et humoristique. Non pas dans le but de nier nos défauts mais afin de les accueillir comme partie intégrante du système standard de fonctionnement humain .
Chaque personne dans ce bus nommé Terre souffre ; c’est quand nous avons honte de nos échecs que la douleur se transforme en souffrance. Dans notre honte, nous nous sentons rejetés, comme s’il y avait ailleurs un autre bus qui roulerait lui sur une route sans aspérités.
Ses passagers seraient tous minces, en bonne santé, heureux, bien habillés, appréciés de tous, membres de familles unies, dotés d’emplois qui ne les stressent pas, et ne faisant jamais rien de méchant ou d’idiot comme oublier où ils ont garé leur voiture ou posé leur portefeuille, ou dire quelque chose de choquant.
Nous voudrions tant être à bord de ce bus, avec tous les gens normaux.
Mais nous sommes à bord du bus à l'avant duquel est écrit ‘BOZOS’ et nous avons peur d’être tout seul à bord de ce bus.
Voilà l’illusion qui aveugle tant d’entre nous : que nous sommes seul dans nos bizarreries et nos incertitudes, que nous pourrions être la seule personne perdue sur la grande route.
Bien sur, nous ne nous sentons pas tout le temps ainsi. Parfois nous sommes emportés par une vague de pardon pour nous-mêmes et soudain nous nous retrouvons connectés à nos frères et sœurs humains, soudain nous faisons partie du groupe.

C’est merveilleux de prendre place à bord du bus avec les autres bozos.
Peut-être que le premier pas en direction de la libération est de comprendre avec chacune des cellules de votre cerveau que l’autre bus – le chouette bus avec tous les gens cool qui savent exactement où ils vont – est lui aussi rempli de bozos déguisés. Des bozos porteurs de secrets.
Quand nous voyons clairement que chaque être humain, peu importe son âge, sa célébrité, sa fortune ou sa beauté, partage les mêmes faiblesse et limites ordinaires, quelque chose d’étrange se passe : nous commençons à nous réjouir, à lâcher un peu prise et nous devenons aussi légers et résilients que ces autres personnes que nous imaginions à bord de l’autre bus.
Tout en roulant le long de la grande route défoncée, aussi perdus que jamais, à travers vallées et collines, nous nous retrouvons en présence d’amis. Nous nous calons alors dans nos sièges et profitons du voyage.

Elizabeth Lesser Broken Open (traduction Benjamin Schoendorff; image Rémi Schoendorff)

dimanche 10 janvier 2010

Le risque de s'ouvrir

J'ai reçu vendredi une carte de vœux d'une amie dont je n'arrive pas à déchiffrer la signature.
Dans un message très touchant elle exprime combien elle a été dérangée par mon texte sur mes addictions. Elle a su identifier d'où venait sa gêne: sa croyance que se révéler aux autres c'est se mettre en danger, se rendre vulnérable à la vindicte publique. Une autre croyance très ancrée c'est que se révéler aux autres c'est se donner en spectacle. Ainsi des collègues proches et dont je voudrais pouvoir être aimé, semblent penser - un me l'a même écrit - que je n'ai pour but que mon auto-promotion...
Bien entendu cela m'a blessé profondément et je me suis senti rejeté et, un instant, j'ai voulu recourir à ma vieille addiction d'isolation.
Je n'ai pas su comment répondre jusqu'à ce que je lise dans Le développement de la personne de Carl Rogers le passage suivant:
“...une évaluation par autrui ne saurait me servir de guide. Les jugements des autres, bien que j’aie le devoir de les écouter et d’en tenir compte pour ce qu’ils sont, ne pourront jamais me servir de guides. C’est là une leçon que j’ai eu du mal à apprendre. [...] Plus tard j’ai été un peu secoué en apprenant qu’aux yeux des autres, je suis un imposteur, quelqu’un qui exerce la médecine sans être qualifié, l’inventeur d’un d’un genre de thérapie très superficielle et dangereuse, animé par une volonté de puissance, un mystique, etc. Je me suis senti également perturbé par des éloges tout aussi exagérés. Cependant je ne me suis pas trop laissé impressionner, parce que j’en suis venu à la conclusion qu’une seule personne (du moins de mon vivant et peut-être pour toujours) peut savoir si j’agis avec honnêteté, avec application, avec franchise et justesse, ou si ce que je fais est faux, défensif et futile, et que cette personne, c’est moi-même. Je suis heureux d’entendre exprimer des témoignages sur ce que je fais : critiques amicales ou hostiles, éloges sincères ou adulateurs, font partie de ces témoignages. Toutefois, je ne puis déléguer à personne le soin de les évaluer ou d’en mesurer la signification et l’utilité.“ (InterEditions 2005, p.20)
J'ai fait le choix conscient et délibéré de la voie du cœur ouvert et donc de prendre le risque de révéler mes vulnérabilités - car mon expérience me montre qu'en les accueillant, en les nommant et en les tenant par la main avec douceur et bienveillance, j'arrive enfin à avancer en direction de mes valeurs.
Et j'accepte que la seule personne qui puisse juger du bien fondé de ma démarche, c'est, dans un sens profond, moi.
Mon expérience me montre aussi combien cela est difficile car mon vœu le plus cher est d'être aimé par tout le monde et ma croyance est qu'en ouvrant mon cœur je le serai.
Or si ouvrir publiquement mon cœur me permet de mieux me connecter à - d'aimer et d'être aimé - de nombreuses personnes et ainsi de rompre mon isolation, cela semble avoir un effet repoussant (on dit aversif en comportementalisme) sur d'autres, qui pourtant me sont importantes.
C'est peut-être une question de dosage. Mais aussi peut-être aussi fonction du fait que la révélation profonde sur soi nous fait tellement peur, à nous tous qui prétendons à toute force ne pas avoir de profond problème ni souffrance - surtout nous les soignants. Une telle révélation semble nous menacer, même quand ce n'est pas nous qui nous révélons. Même si elle ne nous menace pas directement, une telle révélation peut nous sembler tellement impensable que notre tête va nous souffler qu'il doit y avoir anguille sous roche, qu'une telle approche ne peut être sincère et que donc les motivations profondes sont à mettre en cause.
Et si, l
oin de nous protéger de quoi que ce soit, toutes ces choses que nos têtes nous soufflent et que parfois nous laissons déterminer nos comportements relationnels, nous gardaient prisonniers et avaient fonction de perpétuer l'évitement expérientiel, ce grand mensonge qui veut nous faire croire qu'il est désirable, possible voire même impératif de contrôler ou à tout le moins cacher celles de nos expériences intérieures que nos têtes jugent inacceptables ?
Steve Hayes, fondateur de l'ACT nous rappelle que la pire des positions que l'on puisse adopter en tant que thérapeute - mais aussi en tant que parent, qu'ami ou que partenaire amoureux - est celle qui dit, implicitement ou explicitement : 'Cessez de ressentir ce que vous êtes en train de ressentir afin que je puisse cesser de ressentir ce que je ressens lorsque je vous vois ressentir ce que vous ressentez'.

Benjamin Schoendorff
(image Rémi Schoendorff)

vendredi 1 janvier 2010

La thérapie des thérapeutes


Nous commençons l'année nouvelle en accueillant sur ce blog mon amie psychiatre et thérapeute comportementale et cognitive (TCC) Frédérique Giacomoni. Elle contribue un texte intéressant sur les liens entre pleine conscience, acceptation, accueil de la souffrance et l'intérêt pour les thérapeutes TCC d'engager une démarche thérapeutique pour eux-mêmes.
Se démarquant de l'analyse freudienne, la TCC ne prescrit pas de thérapie personnelle des thérapeutes. Frédérique pense qu'une telle démarche peut nous rendre, nous thérapeutes, plus humains, plus empathiques, plus connectés et plus efficaces. Benjamin

Edel Maex a écrit dans Mindfulness : apprivoiser le stress par la pleine conscience que le seul chemin vers l'assurance et la confiance en soi est d'être présent avec une attention bienveillante et ouverte, sans rien chercher : cela familiarise à ce qui se passe en soi-même. Et d'autre part que l'on ne trouve la confiance en l'autre et en soi que dans la mesure où l'on a été contacté avec confiance et apprivoisé.
Je pense en effet que la confiance en soi ne peut se trouver que lorsque l'on adopte une véritable attitude de bienveillance et de douceur, sans aucun jugement vis-à-vis de ce qui se passe en nous. Il ne s'agit certainement pas d'une attitude naturelle mais de quelque chose qui s'acquiert avec la maturité émotionnelle. Certains êtres sont sans doute plus doués que d'autres pour y parvenir.
Je crois que le travail du psychothérapeute, quelque soit la technique qu'il ait choisi pour exercer son art, requiert une parfaite connaissance de ces mécanismes de la confiance en soi. Il se doit d'être un modèle pour son patient. ll se doit d'adopter envers lui-même et envers son patient une attitude ouverte, bienveillante, douce et sans jugement. Il se doit d'avoir une attention ouverte. C'est-à-dire qu'il ne doit pas se perdre dans ses propres réactions, ses interprétations et ses conclusions automatiques.
Quelque soit le niveau de connaissances théoriques du thérapeute, quelque soit son niveau de formation, quelque soit son expérience clinique je crois qu'il ne peut obtenir ce niveau d'ouverture à l'autre, d'attention bienveillante sans aucun jugement que s'il a lui-même expérimenté d'être accueilli par un autre.
Le thérapeute, même lorsqu'il pratique des TCC, se doit, à mon avis, d'avoir expérimenté l'accueil, la douceur et la bienveillance d'un autre pour apprendre lui aussi à ne plus se juger avec dureté, à se détacher de ses propres automatismes de pensée, à accueillir en lui toute la grande diversité des émotions qui se déroulent dans chaque séance de thérapie afin de pouvoir choisir librement ce qu'il va en faire avec chaque patient.
D'autre part, chaque thérapeute doit avoir conscience que s'occuper des autres en permanence conduit vite à l'oubli de soi, à la négligence de soi et donc au renforcement inexorable de ce qui pose problème en soi. La reconnaissance de la souffrance étant le point de départ de toute relation thérapeutique, il est indispensable que chaque thérapeute prenne en charge sa propre souffrance au risque de la déverser sur autrui ou de la renforcer chez lui ou chez son patient.
Enfin, je crois que pour arriver sincèrement à éprouver de la compassion pour soi, qui est comme le souligne Edel Maex le seul véritable antidote à la violence absurde, il faut qu'un autre en ait éprouvé pour soi. Le thérapeute devenu patient peut alors ressentir tous les bienfaits de cette attitude et les transmettre à son tour à ses patients, non pas d'une manière intellectuelle, froide et distante mais d'une manière émotionnelle, immédiate et spontanée.
En conclusion, je crois que tout l'intérêt de cette troisième vague des TCC est de mettre l'accent sur les émotions et la nécessité pour le thérapeute d'être au clair avec ses propres mécanismes émotionnels. Comme l'écrit Stéphanie Hahusseau, dans Tristesse, peur, colère, quand on est psy, aller voir un psy soi-même est conseillé!
Le maitre Zen Dogen dit :
Le Zen, c'est apprendre à vous connaitre,
Apprendre à vous connaitre, c'est vous oublier,
Vous oublier, c'est vous relier à toutes choses.
Je dirais finalement :
La thérapie du thérapeute, c'est apprendre à se connaitre,
Apprendre à se connaitre, c'est être débarrassé du souci de soi,
Être débarrassé du souci de soi, c'est être relié à toutes choses et donc devenir thérapeute!
Frédérique Giacomoni (image Rémi Schoendorff)