mardi 24 mars 2009

Vivre avec ses Souvenirs

A l'occasion de la sortie de son nouveau livre: Faire la Paix avec son Passé (Odile Jacob 2009) Jean-Louis Monestès - psychologue et chercheur - répond à mes questions. Jean-Louis est un ami, thérapeute et formateur ACT (Thérapie d'Acceptation et d'Engagement), et un des animateurs du site Le Magazine ACT.
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Dans ton nouveau livre tu écris sur comment nos souvenirs nous attirent vers le passé. Comment cela se passe-t-il?
Notre cerveau est le produit de milliers d’années d’évolution au cours desquelles se souvenir mieux et plus a permis une meilleure survie. Une part importante de son activité consiste à ce que nous nous souvenions de ce que nous vivons, particulièrement des situations qui nous ont mises en danger, afin que nous les évitions par la suite. Aussi, même si nous n’aimons pas certains de nos souvenirs, il se rappellent à nous en partie pour notre bien. Il reste que ce n’est pas toujours facile à vivre, particulièrement quand nous avons subi des traumatismes, des déceptions, des disparitions.
Sommes-nous les victimes de notre capacité à nous souvenir?
Les victimes et les bénéficiaires ! Mais c’est vrai que nous nous souvenons parfois trop et que nous sommes relativement peu acteurs de notre mémorisation. La plupart des choses que nous retenons sont apprises sans notre volonté. C’est le cas de détails banals (telle chanson que nous détestons et que nous fredonnons malgré nous toute la journée) comme des événements graves : accident, agressions, décès. Tout ce qui passe à portée de notre cerveau est « aspiré » et mémorisé, que nous le voulions ou non. C’est la première étape de notre impuissance par rapport à notre mémorisation. La seconde concerne l’évocation de ces souvenirs. Ils reviennent le plus souvent sans que nous les ayons convoqués, à la faveur de stimulus présents dans le contexte d’origine, ou encore de nos simples pensées, capables de s’évoquer entre-elles à la manière de cascades de dominos...
Quels moyens pratiques pour que notre passé ne nous parasite pas? Pouvons-nous contrôler nos souvenirs?
Malgré l’intuition que nous en avons, nous ne pouvons absolument pas contrôler nos souvenirs. Je montre dans mon livre que tenter de le faire nous conduit même dans une impasse et pourrait certainement être à l’origine de difficultés psychologiques. Ce qui ne nous empêche pas de tous nous escrimer à essayer de les effacer. Première « méthode » que nous essayons : contrôler notre pensée. De nombreux travaux ont montré qu’il existe un effet rebond à essayer de supprimer nos souvenirs : plus nous ressassons « il ne faut plus que je pense à cet accident », plus… nous passons de temps à y penser ! Nous sommes alors les parfaits répétiteurs d’un souvenir qui, de ce fait, en devient davantage disponible, et réapparaît plus souvent. Deuxième « méthode » : la distraction. Le souvenir du décès d’un proche me hante, et je décide de m’en distraire en pensant à autre chose plus agréable, par exemple mon prochain week-end à la plage. Je crée alors sans le vouloir un réseau de relations entre la plage et le décès. La plage devient alors un déclencheur puissant du souvenir du décès, et le piège se referme.
Pour que notre passé ne parasite pas notre présent, il faut au contraire s’orienter vers une démarche d’acceptation des souvenirs. Cela ne signifie pas qu’on doit aimer les situations douloureuses que nous avons vécues, mais qu’il est possible d’accepter la présence en nous de leurs avatars. La thérapie par exposition permet en partie cette acceptation. Une façon de la systématiser consiste à recourir aux outils de la pleine conscience, et à l’engagement vers de nouvelles actions à l’origine de nouveaux souvenirs qui diminueront la portée douloureuse des anciens.
Tu parles aussi d’accepter sereinement souvenirs et émotions...
C’est une démarche et une réflexion plus générale sur la volonté de contrôle qui nous habite tous. Nous sommes habitués à avoir un certain contrôle sur l’environnement qui nous entoure, et nous reproduisons nos tentatives de contrôle sur ce qui se passe en nous : souvenirs, émotions, pensées, sensations. Malheureusement, notre vie psychologique ne se contrôle pas de la même façon que l’environnement dans lequel nous vivons. Elle ne se contrôle même pas du tout ! Retrouver une sérénité par rapport à nos souvenirs passe par la constatation que nous ne sommes que les réceptacles de ces événements psychologiques, dont nous pouvons prendre conscience, que nous pouvons observer, mais qu’il est vain d’essayer de modifier. Pour certains de nos patients, le contrôle est devenu leur seule modalité d’interaction avec le monde, leur seule raison d’être. Ils appauvrissent alors leur vie sans le vouloir. Dans notre jargon, nous dirions qu’ils agissent vers des renforcements négatifs (supprimer la souffrance) en négligeant les sources de renforcements positifs (augmenter le bonheur). Retrouver une sérénité par rapport à ses souvenirs douloureux va consister à faire une place à la douleur qu’ils évoquent, arrêter de lutter contre elle, afin de se consacrer pleinement à enrichir sa vie. En somme, faire autre chose que chercher à contrôler. Une démarche qui peut paraître bien anachronique dans notre société où tout doit être prévu, géré et maîtrisé, mais qui commence à montrer son intérêt dans divers troubles psy. (interview réalisée par email par Benjamin Schoendorff - Image Rémi Schoendorff)

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